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Réforme de la protection de l'entrepreneur individuel

Faut-il encore se marier sous le régime de la séparation de biens ?
Réforme de la protection de l'entrepreneur individuel : faut-il encore se marier sous le régime de la séparation de biens ?

3 questions à Maître Bertrand MOREL, notaire du Grand Paris.


Q : Maître MOREL, une réforme est récemment intervenue à propos du régime de l’entrepreneur individuel ?

Bertrand MOREL : Oui, depuis le 14 mai 2022, date d’entrée en vigueur de la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, les entrepreneurs individuels disposent, de manière automatique, de deux patrimoines distincts : un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel.

Ce nouveau statut s’applique ainsi de plein droit aux commerçants, artisans, agriculteurs, professionnels libéraux ou auto-entrepreneurs qui exercent leur activité de manière indépendante, sans avoir créé de société.

Cette réforme vise à améliorer la protection de l’entrepreneur individuel, ce dernier n’étant tenu que sur son seul patrimoine professionnel (c’est à dire les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité professionnelle) à l’égard des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle.

Aucune formalité n’est à accomplir pour bénéficier de cette protection, qui organise une séparation claire, étanche et de plein droit entre les patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel.

Ce principe répond à une préoccupation forte de l’entrepreneur : protéger son patrimoine, notamment familial (spécifiquement celui de son conjoint) de l’action, de la saisie, des créanciers.

Q : Pour les entrepreneurs mariés, cette protection n’était-elle pas déjà assurée par le régime de la séparation de biens ?

Bertrand MOREL : Jusqu’à présent en effet, il était traditionnellement recommandé aux couples qui se marient, dont l’un des deux est entrepreneur, de choisir le régime de la séparation de biens.

Ce régime matrimonial prévoit la séparation des patrimoines des deux époux, par opposition au régime légal de la communauté réduite aux acquêts (qui concerne 85% des couples mariés), dans lequel les biens gagnés ou acquis par les époux, ensemble ou séparément, pendant le mariage, sont communs (les « acquêts »).

Quand un notaire reçoit un couple qui souhaite se marier, il est habituel d’orienter les réflexions des futurs époux sur le choix de leur régime matrimonial selon trois critères :

  • L’actif (à qui appartiendront les biens acquis ou créés par l’un ou l’autre des époux pendant le mariage ?),
  • Le passif (quel est le régime des dettes contractées par l’un ou l’autre des époux ?),
  • Et les pouvoirs (par exemple, un époux peut-il disposer seul d’un bien acquis pendant le mariage ?).

Le sujet du passif est souvent le plus déterminant pour un entrepreneur : quel sera le gage des créanciers de l’époux débiteur en cas de saisie ? Ses biens propres et les biens communs du couple (à l’exception des salaires du conjoint) dans le régime de la communauté ; uniquement les biens personnels du débiteur dans le cas de la séparation de biens.

Q : Mais la réforme rend-elle encore nécessaire l’adoption d’un régime matrimonial particulier ? 

Bertrand MOREL : Avec l’entrée en vigueur de la réforme sur la protection de l’entrepreneur individuel (laquelle vient institutionnaliser la création d’un patrimoine professionnel, indépendant du patrimoine personnel, qu’il soit d’ailleurs propre ou commun), nous pouvons nous interroger sur le point de savoir si le régime de la séparation de biens conserve un attrait, un intérêt, pour l’entrepreneur individuel.

Hâtivement, nous pourrions répondre par la négative : vis-à-vis des créanciers, la protection des biens personnels est assurée par la loi : nul besoin d’organiser cette protection par un contrat de mariage.

En effet, si les périmètres des dispositifs sont par nature différents, le résultat au niveau de la protection de l’entrepreneur est similaire : le patrimoine personnel pourra être propre à l’époux commun en biens ; il pourra être aussi commun aux deux époux. Dans les deux cas, il sera protégé.

La réalité est autre toutefois pour au moins trois raisons :

  • La mise en œuvre concrète de la réforme et la très probable demande (systématique ?) de certains créanciers (établissements bancaires notamment) afin que l’entrepreneur renonce à la séparation des patrimoines. Cette exception est spécifiquement prévue par les textes. En cas de séparation de biens, le patrimoine du conjoint restera protégé.
  • La préoccupation du conjoint de protéger les biens acquis avec ses deniers : en communauté, ces biens sont communs et, s’ils sont utiles à l’activité professionnelle de son époux  entrepreneur individuel,  ils intègrent l’assiette de l’action des créanciers de ce dernier.
  • La vie du couple évidemment qui peut connaître des vicissitudes, des difficultés, des conflits. Il faut penser à la séparation, à un divorce. Par exemple : un entrepreneur créé son activité pendant le mariage, sans contrat (communauté). Si son conjoint le quitte unilatéralement et demande le divorce : la valorisation de l’entreprise individuelle sera intégrée dans l’actif de communauté, chaque époux en ayant droit à la moitié. Est-ce bien ce qu’attend l’entrepreneur au moment de se marier ?

Le régime de la séparation de biens conserve donc une forte acuité, un vif intérêt pour l’entrepreneur individuel, malgré les avancées de la nouvelle loi.

Par ailleurs, si les nouvelles dispositions de la réforme sur l’activité professionnelle indépendante pourront dans certains cas convenir parfaitement à la situation de l’entrepreneur individuel - en ce qu’elles seront adaptées à sa vision et à son projet, à court et moyen terme - il est certain que dans d’autres situations, la constitution d’une société s’imposera et des précautions particulières (rédaction fine de statuts, régime matrimonial adapté, choix d’une fiscalité) seront à mettre en place.

Dans toutes les hypothèses, l’entrepreneur devra connaître et comprendre les règles du jeu, pour ne pas se voir appliquer un statut par défaut qu’il n’aura pas pris le temps de sélectionner.

Plus qu’avant donc, le rôle du notaire est essentiel : orienter les entrepreneurs dans le choix de la structure la mieux à même de répondre à leurs besoins immédiats et à leurs perspectives d’évolution. Et, si l’entrepreneur a le projet de se marier, il sera toujours opportun de lui conseiller la séparation de biens.